Juive de Cologne « trop jolie » pour son âge, Elsa mène sa famille en Russie aux lendemains de la Première Guerre mondiale, là où la guerre et le commerce continuent. Enfant pervers n'ayant jamais connu l'innocence, elle se définit comme une « conquérante ». Dans la Russie soviétique, Elsa « achève de se corrompre » : devenue le symbole de la Révolution, elle perd peu à peu son identité pour se conformer à la légende qu'elle est censée incarner. Cette légende, c'est un « trio exceptionnel » et monstrueux, composé de Hamlet, Falstaff et Puppchen, qui l'écrit. Leur description offre un bel exemple de l'ironie grinçante de Mac Orlan, à laquelle concourt la métaphore théâtrale que file le roman. « Nouvelle poupée » à la « personnalité assez vague [et] très littéraire », Elsa interprète un rôle qui la dépasse, dans lequel elle flotte. L'habit qui lui conviendrait, cette robe de mariée qu'elle voit dans un magazine de mode français et pour laquelle elle écrit un poème, lui demeure inaccessible, même dans la seconde partie du roman où pourtant elle occupe Paris avec son armée internationale, et entame une liaison avec Bogaert. Mais la romance échoue, et le roman, qui s'ouvrait sur le spectacle des pendus « décoratifs » qui fleurissaient les arbres de Sébastopol, se clôt sur la double mort d’Elsa. Récit entrecoupé de chapitres qui oscillent entre l'essai et le poème en prose, ce texte de Mac Orlan explore à travers la destinée d’Elsa le climat d'inquiétude de l'après-guerre.
Zacharie Signoles